Sur les 8 millions d’espèces animales et végétales sur Terre, la plate-forme estime qu’environ 1 million sont aujourd’hui menacées d’extinction, chose « qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité ». Et parmi les 5,9 millions d’espèces terrestres, plus de 500 000 ne bénéficient plus de l’habitat naturel nécessaire à leur survie à long terme ! La crise du Covid-19 ne fait désormais que renforcer nos craintes : le recul du monde sauvage face à la pression humaine favorise l’émergence de nouveaux pathogènes.
Un bilan alarmant
La France n’échappe pas à ces menaces. La nature régresse du fait des activités humaines : artificialisation des sols et fragmentation des milieux naturels, surexploitation des ressources, pollutions de l’air, de l’eau et des sols, usage massif des pesticides en agriculture, chasse. Les écosystèmes sont fortement perturbés et ne peuvent plus rendre les services qu’ils offrent habituellement, aussi bien à l’homme qu’à la nature : purification de l’eau et de l’air, atténuation des crues et de l’effet des sécheresses, maintien de la pollinisation, régulation du climat, régulation de la dynamique des pathogènes et parasites, etc.
Et pourtant… la variété des paysages et la richesse des écosystèmes de notre merveilleux pays nous confèrent une responsabilité réelle vis-à-vis du vivant : selon un recensement du Muséum national d’histoire naturelle, la France accueillait en 2015 plus de 160 000 espèces, soit environ 2 % des espèces connues sur notre planète. Il s’agit de la plus grande biodiversité d’Europe.
Aujourd’hui, en France, moins de 1,54 % du territoire métropolitain terrestre bénéficie d’une protection dite « forte », selon l’Inventaire national du patrimoine naturel. Et à l’intérieur de ces espaces de protection « forte », l’exploitation forestière, le pastoralisme et la chasse sont encore bien présents : la chasse est autorisée dans trois zones-cœurs de parcs nationaux sur onze (les parcs des Calanques, des Cévennes et de forêts), dans une grande majorité des réserves naturelles nationales et dans la plupart des réserves naturelles régionales ; chasse et pêche ne sont pas interdites partout dans les réserves biologiques ; les forêts et les pâturages sont exploités dans les zones-cœurs des parcs nationaux de montagne et dans de nombreuses réserves naturelles. A ce jour, on peut estimer que seulement 0,6 % du territoire terrestre métropolitain français assure la libre expression des processus naturels.
Pleine naturalité
Le président Emmanuel Macron a déclaré en mai 2019 vouloir protéger 30 % des espaces naturels sur terre et en mer, dont un tiers « en pleine naturalité » (devenu entre-temps « en protection forte ») à l’horizon 2030. Cet objectif est entériné dans la stratégie Biodiversité de la France et de l’Union européenne 2020-2030. Mais quelle définition donner à la pleine naturalité ou protection forte dont parle le président Macron ?
En février 2009 déjà, le Parlement européen avait adopté une résolution invitant les Etats membres à développer de vastes zones de nature « vierge ». Et la protection forte de l’Europe a été définie par l’initiative Wild Europe en 2012 : « Un espace à haute naturalité est une zone gouvernée par des processus naturels. Il est composé d’espèces et d’habitats naturels et suffisamment grands pour le fonctionnement écologique effectif des processus naturels. Il est non ou peu modifié et sans activité humaine intrusive ou extractive, habitat permanent, infrastructure ou perturbation visuelle. » Ce qui signifie donc une zone sans chasse, sans exploitation du bois, des terres ou des minéraux, sans contrôle des espèces.
Arrêtons les interventions humaines
Renforçons la protection forte française pour que les 10 % promis le soient en libre évolution (en pleine naturalité), en adoptant la définition européenne des zones de nature vierge. Créons des zones de libre évolution à l’intérieur d’espaces encore trop mal protégés (parcs naturels régionaux, zones Natura 2000, etc.), mais aussi là où cela sera profitable à de nouveaux territoires. Créons de nouveaux outils pour faciliter leur mise en place.
Visons systématiquement la présence de toutes les composantes d’un écosystème laissé en libre évolution, afin de garantir son fonctionnement optimal. Encourageons les propriétaires privés à rendre certaines de leurs parcelles à la nature sauvage, avec une garantie sur le long terme. Inscrivons ces propositions dans la nouvelle stratégie des aires protégées 2020-2030 de la France.
Arrêtons de vouloir maîtriser et exploiter la totalité des espaces et des écosystèmes, laissons, en certains lieux, la nature prendre la direction qu’elle souhaite ! Car la nature libre, autonome, spontanée et sauvage a des capacités de réparation étonnantes, à condition qu’on lui en laisse l’espace et le temps. Sans intervention humaine quelle qu’elle soit, la forêt se reconstitue, la faune revient et retrouve sa densité naturelle sans qu’il soit besoin de la réguler.
L’urgence démontrée de telles mesures appelle une volonté forte quant à leur mise en œuvre. Mais nous savons aussi que la garantie de vrais progrès en ce sens repose, au-delà même des moyens, sur la qualité des dialogues, des concertations qui les accompagneront. Créons donc les conditions d’un partage exigeant, fondateur de décisions claires et mieux susceptibles ainsi d’être partagées – nous sommes pour notre part en discussion et convergence de réflexion avec, entre autres, l’Association Francis Hallé pour une forêt primaire, projet qui a attiré l’attention d’Emmanuel Macron, et l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Le déclin de la biodiversité n’est pas inéluctable. Redonnons de la place au vivant !
Isabelle Autissier, navigatrice ; Gilles Clément, paysagiste ; Béatrice et Gilbert Cochet, écologues ; Jean-Claude Génot, écologue ; Marc Giraud, président de l’Aspas ; Francis Hallé, botaniste ; Baptiste Morizot, philosophe ; Vincent Munier, photographe animalier ; Matthieu Ricard, moine bouddhiste tibétain ; Sylvain Tesson, écrivain ; Benoît Thomé, président de l’association Animal Cross
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