On finit par croire que la forêt a besoin d’être exploitée pour être en pleine santé

On finit par croire que la forêt a besoin d’être exploitée pour être en pleine santé

Baptiste Morizot, Gilles Clément, Francis Hallé

L’« Appel pour des forêts vivantes », qui lance, les 16 et 17 octobre, une année de mobilisation en France, est le signe d’une réappropriation citoyenne face à la foresterie industrielle, se réjouissent plusieurs personnalités, dont le philosophe Baptiste Morizot, le paysagiste Gilles Clément et le botaniste Francis Hallé.

Le 2 août paraissait, dans plusieurs médias, l’« Appel pour des forêts vivantes », qui propose d’engager, dès maintenant, une année de mobilisation pour les forêts françaises. Cet appel réunit une multiplicité d’acteurs et de rapports à la forêt, contre un adversaire commun : la malforestation des foresteries industrielles. On trouve, dans cet appel, des collectifs citoyens, des exploitants forestiers alternatifs, des associations, des habitantes et habitants, des collectifs militants, des fonctionnaires de l’Office national des forêts (ONF) qui refusent le productivisme. Des gens pour qui une forêt, et la manière dont elle est traitée, cela importe.

L’« Appel pour des forêts vivantes » émane d’un mouvement encore sous-terrain mais puissant aujourd’hui : la réappropriation citoyenne du soin envers les écosystèmes qui nous abritent. Un « reclaim » [une régénération] de la défense du tissu du vivant. Si nous soutenons cet appel, c’est parce que cette prise en charge par les citoyens signe le début d’une métamorphose majeure : c’est la réappropriation d’une mission qui avait été cantonnée aux Etats, enferrés dans des collusions graves avec les lobbys de la destruction. Ici, c’est chacun qui affirme qu’il est tissé à son milieu, qui défend l’interdépendance entre lui et son paysage multispécifique. L’affect fondateur de ce mouvement tient en quelques mots : on ne se laissera plus confisquer le soin de nos milieux de vie − nous sommes le vivant qui se défend.

« Sylvicultures douces »

La seconde dimension importante de cet appel est la pluralité des approches de la forêt qu’il met en relation. L’alliance est ouverte à une multitude d’usages et de pratiques, et ce qui l’anime, c’est d’abord de lutter contre un ennemi commun. L’adversaire de la forêt, c’est la foresterie industrielle « et son monde » : c’est-à-dire l’extractivisme, incarné par les exploitants héritiers de l’idéologie suivant laquelle les forêts sont d’abord des réserves de matière à notre disposition, des espaces de pure production dont il faut optimiser le rendement. Ce sont tous ceux qui réduisent les massifs forestiers à des usines à bois en épuisant l’humus, en fragilisant les sols, en réduisant des milliers d’hectares de forêts diversifiées à des plantations monoculturelles de résineux qui ne sont accueillantes ni pour la biodiversité ni pour les habitants. Mais toute exploitation n’est pas une destruction : il existe des formes de « sylvicultures douces » qui s’inspirent des dynamiques forestières tout en reconnaissant la valeur du bois, dans des logiques économiques qui ne sont plus hors-sol mais reliées à des enjeux sociaux et locaux, de soin envers le travail et les savoir-faire des bûcherons, des forestiers et des artisans. Cette exploitation soutenable, de type « futaie jardinée », avec des arbres diversifiés en âge et en essence, respectueuse des dynamiques propres à la forêt, est défendue, par exemple, par la charte du Réseau pour les alternatives forestières (RAF). Quelle meilleure boussole prendre, pour imaginer une gestion soutenable de la forêt, que celle des puissances de vie, de régénération, de résilience, des écosystèmes forestiers tels qu’ils se déploient depuis des millions d’années sans forçage par l’exploitation, sans contrainte, c’est-à-dire en libre évolution ? Il ne s’agit évidemment pas d’ériger cette libre évolution en norme de ce que doivent être l’ensemble des milieux forestiers : puisque l’on a besoin de bois, il faut bien en prélever. Mais une forêt en libre évolution est un témoin actif de ce que fait la vie sylvestre lorsqu’elle n’est pas mise au travail, et donc de ce que lui fait la gestion active. C’est le témoin constant et stable pour évaluer la violence ou la tendresse de notre action d’exploitation sur la forêt, pour la corriger, pour trouver les égards ajustés. Sans elle, on finit par prendre la forêt exploitée pour modèle de ce qu’est une forêt. On finit par croire que la forêt a besoin d’être exploitée pour être en pleine santé. En conséquence, nous avons aussi besoin que des forêts soient laissées en libre évolution − certains experts forestiers proposent, par exemple, 25 % des superficies forestières.

Libre évolution

Ce que nous désirons pour l’avenir, ce sont des forêts vivantes : des massifs riches d’un maillage d’usages différenciés, allant de la sylviculture douce à la forêt cueillie, de la futaie jardinée jusqu’à la libre évolution, la restauration écologique et des formes intelligentes de réensauvagement. Des forêts plus résilientes face aux bouleversements du climat, et qui prennent part à leur atténuation. Cette alliance d’usages soutenables est un front commun contre l’extractivisme. Mais un ennemi commun ne fait pas une alliance durable − au-delà, qu’est-ce qui unit positivement celles et ceux qui ont répondu à cet appel ? Ce qui les rassemble, c’est probablement quelque chose comme une considération et une confiance pour les dynamiques de la forêt elle-même, qui existe et rayonne comme écosystème autonome et en transformation depuis des millions d’années sur notre Terre, avant même notre apparition, à nous, humains. Ce front commun regroupe une alliance d’alternatives d’accompagnement des milieux forestiers dont le dénominateur commun est de chercher des égards ajustés envers les logiques intimes de la forêt : d’essayer de les comprendre et de les respecter.

Voilà ce que nous entendons dans cet « Appel pour des forêts vivantes » : une invitation à rejoindre cette alliance, en allant à la rencontre de la myriade d’événements qui vont bruisser dans les forêts françaises les 16 et 17 octobre. Ce sera le lancement multiforme et joyeux de cette année de mobilisation dont la forêt française a besoin, dont nous avons besoin.

Gaëtan du Bus, forestier ; Gilles Clément, paysagiste ; Gilbert Cochet, naturaliste ; Hervé Coves, agroécologue ;
Francis Hallé, botaniste ; Béatrice Kremer-Cochet, naturaliste ; Virginie Maris, philosophe ;
Patrice Martin, garde forestier (Snupfen, ONF) ; Baptiste Morizot, philosophe ; Annik Schnitzler, écologue ;
Thierry Thévenin, paysan herboriste ; Ernst Zürcher, forestier.

Animal Cross sort son reportage « Et si on laissait la nature évoluer librement ? »

Animal Cross sort son reportage « Et si on laissait la nature évoluer librement ? »

Ce film documentaire sur la libre évolution  vous emmènera dans les réalités de la protection de la nature en France. Vous constaterez que la faune et la flore sauvages sont presque partout dérangés et qu’il est nécessaire de dédier des espaces à la libre évolution, sans interventions humaines (pas de chasse, de pêche, d’exploitation forestière ou minière, d’agriculture, de pastoralisme), pour les préserver. Puis vous serez plongés dans la beauté d’une nature en libre évolution. Vous découvrirez tous les avantages qu’elle procure, tant pour la biodiversité que pour l’être humain.

Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest – Le nouveau manifeste de Francis Hallé

Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest – Le nouveau manifeste de Francis Hallé

Francis Hallé vient de publier un fabuleux manisfeste nommé Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Voici son résumé :

Les forêts primaires, qui n’ont jamais été modifiées ni exploitées par l’homme, sont des joyaux de la nature, des sommets de biodiversité. Leurs bénéfices sont inestimables. Sous les tropiques, elles subissent un déclin alarmant. En Europe, elles ont quasiment disparu depuis 1850. Pourquoi devrions-nous nous satisfaire de cette situation ? Ce n’est cohérent ni avec notre tradition culturelle, ni avec notre exigence de beauté des paysages.
C’est pourquoi, à l’initiative du botaniste, l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire agit pour la création d’un vaste espace (environ 70 000 hectares) dans lequel une forêt, placée en “libre évolution”, renouvellera et développera sa faune et sa flore sans aucune intervention humaine, et cela sur une période de plusieurs siècles. Cette zone, qui reste à localiser, sera transfrontalière, avec une base française.
Ce projet suscite un très vif intérêt du public, pour des raisons à la fois écologiques et philosophiques. Comme l’expose ce manifeste, l’Association souhaite susciter un large mouvement d’opinion pour faciliter l’obtention des accords politiques et administratifs nécessaires. Il est urgent d’agir !

Penser le vivant : le réensauvagement, ou comment l’environnement retrouve son fonctionnement naturel – Article Le Monde

Penser le vivant : le réensauvagement, ou comment l’environnement retrouve son fonctionnement naturel – Article Le Monde

ENTRETIEN « Les penseurs du vivant » (4/12).

Auteurs de L’Europe réensauvagée. Vers un nouveau monde (Actes Sud, 2020), les naturalistes et photographes Béatrice Kremer-Cochet et Gilbert Cochet arpentent, depuis plus de vingt ans, les réserves de vie sauvage du monde entier et achètent collectivement des espaces autrefois exploités et désormais laissés en libre évolution.

De quelle manière la nature sauvage regagne-t-elle du terrain en France et en Europe ?

Nous assistons à une situation contrastée. En effet, dans nos campagnes, l’utilisation de pesticides, d’engrais chimiques et la destruction des habitats (haies, prairies naturelles, marais…) ont fortement affecté la biodiversité. De fait, nos rivières sont eutrophisées, c’est-à-dire trop bien nourries, et les algues se développent. Leur décomposition naturelle consomme du dioxygène et entraîne l’asphyxie d’une partie de la faune aquatique. De même, la surpêche en mer est tout bonnement une folie, notamment par l’utilisation du chalut.

Mais, dans le même temps, certaines espèces iconiques, qui avaient disparu à la suite d’une intense persécution, reviennent. Soit spontanément, comme le loup, le phoque-veau marin, le phoque gris, la cigogne noire, la spatule blanche, la grue cendrée, la grande aigrette, l’ibis falcinelle, le pygargue à queue blanche, la tortue caouanne… soit grâce au coup de pouce de l’homme, qui a, par exemple, réintroduit les deux espèces de bouquetins (celui des Alpes et l’ibérique), le lynx, le gypaète et le vautour moine.

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Une approche novatrice du rapport entre l’homme et le vivant non humain, une nouvelle alliance en quelque sorte, permet au monde sauvage de regagner une partie de ses bastions historiques. Par ailleurs, l’abandon des terres agricoles les plus difficiles à exploiter, notamment en montagne, a entraîné le retour spontané de la forêt, redevenue propice pour les ongulés (cerf, chevreuil, sanglier…) et leurs prédateurs (ours, loup, lynx, aigle royal…). Ces listes, incomplètes, montrent l’incroyable résilience des espèces dès lors qu’on leur laisse une place.

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Pourtant, avec les associations Forêts sauvages et Aspas (Association pour la
protection des animaux sauvages), vous avez voulu acquérir collectivement des terres afin de les laisser en « libre évolution ». Qu’est-ce que le réensauvagement ?

Le réensauvagement consiste à protéger un environnement et à lui permettre de retrouver son fonctionnement naturel. Les acquisitions réalisées par l’Aspas et Forêts sauvages permettent d’augmenter à la fois le nombre de sites protégés dans notre pays, et de leur offrir une protection stricte, sans compromis. Certaines de nos acquisitions, comme « Vercors Vie Sauvage », peuvent rivaliser en surface avec des réserves naturelles nationales comme l’île de la Platière, sur le Rhône, ou les Ramières de la Drôme : chacun de ces espaces protégés couvre environ 500 hectares.

La Fondation 30 millions d’amis salue la création de la Coordination Libre Evolution

La Fondation 30 millions d’amis salue la création de la Coordination Libre Evolution

Pic noir

Un texte de la Fondation 30 millions d’amis

Créée sous l’impulsion de 4 associations de défense de l’environnement et des animaux, la Coordination « Libre Évolution » œuvre pour la création d’espaces strictement protégés, dénués de toute intervention humaine. La Fondation 30 Millions d’Amis salue l’initiative et demande aux pouvoirs publics d’agir en conséquence.

10% d’espaces en libre évolution en France ! C’est l’objet de la proposition de la Coordination « Libre Évolution » lancée sous l’impulsion des associations Animal CrossASPAS, Forêts sauvages et Francis Hallé pour la forêt primaire. Une idée également soutenue par de nombreux parlementaires qui ont déposé, à cette fin, 5 amendements au projet de loi de lutte contre le dérèglement climatique, en cours de discussion au Parlement.

La chasse, actuellement autorisée à l’intérieur des espaces de protection « forte »

La part des aires marines et terrestres protégées devrait, selon le Président Emmuanel Macron, être portée à 30%, « dont un tiers d’aires protégées en pleine naturalité » [autrement dit, en « protection forte », NDLR] d’ici 2022 (6/05/2019). Une bonne nouvelle… en apparence ! Encore faut-il, en réalité, durcir la réglementation applicable à ces espaces et aux animaux qu’ils abritent. « Dans l’urgence de préserver la nature et les humains, nous nous réjouissons des déclarations faites, qui pourraient être une véritable révolution, tout en redoutant les artifices de langage, assurent les associations instigatrices du projet. La protection forte ne doit pas être un consensus mou qui ne nous ferait en rien gagner la bataille de la biodiversité. »

 

Arrêtons de vouloir maîtriser et exploiter la totalité des espaces et des écosystèmes.

Coordination « Libre Evolution »

Et pour cause : actuellement, seul 1,54 % du territoire métropolitain terrestre français bénéficie d’une protection dite « forte ». « Or, à l’intérieur de ces espaces de protection ‘’forte’’, l’exploitation forestière, le pastoralisme et la chasse sont encore bien présents, déplore le collectif. La chasse est autorisée dans 3 zones-cœurs de parc national sur 11, dans une grande majorité des réserves naturelles nationales et dans la plupart des réserves naturelles régionales ». Seul 0,6% du territoire est, in fine, dépourvu de toute intervention humaine !

«  Sans intervention humaine, la faune revient sans qu’il soit besoin de la réguler »

Raison pour laquelle les associations invitent les pouvoirs publics à renforcer la protection forte afin que les 10 % promis le soient véritablement en « libre évolution ». «  Arrêtons de vouloir maîtriser et exploiter la totalité des espaces et des écosystèmes ; laissons, en certains lieux, la nature prendre la direction qu’elle souhaite, préconisent-elles. Sans intervention humaine, quelle qu’elle soit, la forêt se reconstitue, la faune revient et retrouve sa densité naturelle sans qu’il soit besoin de la réguler. »

Dès 2009, l’Union européenne invitait déjà les Etats membres à développer de vastes zones de « nature vierge ». Trois ans plus tard, l’initiative « Wild Europe » définissait les espaces de protection « forte » comme « une zone gouvernée par des processus naturels », « composée d’espèces et d’habitats naturels » et « sans activité humaine intrusive ou extractive ». « La protection stricte européenne n’interdit pas nécessairement l’accès des personnes, mais n’autorise aucune perturbation significative des processus naturels, résume le collectif. Ce qui signifie une zone sans chasse, sans exploitation du bois, des terres ou des minéraux, sans contrôle des espèces ». Dans cette lignée, la Stratégie de l’UE en faveur de la Biodiversité à l’horizon 2030 prévoit qu’au moins un tiers des zones protégées (soit 10 % des terres et 10 % des mers de l’Union) le soient « strictement » (20/05/2020).

Reste à l’Etat français de suivre cette voie, que ce soit dans le cadre de la Stratégie nationale pour la Biodiversité (en cours d’élaboration au gouvernement) ou, à un cran supérieur dans l’ordonnancement juridique, à travers la loi sur le climat (en première lecture devant l’Assemblée nationale). Une évolution inéluctable pour préserver les animaux et leurs milieux.

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