Les montagnes en libre évolution
Poursuivre la préservation du sauvage
Les montagnes sont les derniers territoires sauvages. La rudesse de ce milieu a freiné la présence et l’impact des humains, le sauvage reste alors très présent. En effet, l’isolement géographique et la rudesse du climat permettent aux processus écologiques de se dérouler naturellement dans certaines parties de montagne.
Après les glaciations, les montagnes furent le refuge d’espèces adaptées au froid, qui se sont repliées vers le nord lors des périodes de réchauffement. L’isolement du milieu montagneux est à l’origine de nombreux cas d’endémismes (espèces spécifiques à une aire de répartition limitée).
Laisser des paysages de montagne en libre évolution peut donner aux espèces qui y vivent de meilleures chances de s’adapter aux changements climatiques à venir.
L’emblématique edelweiss Leontopodium spp. est connue pour sa robustesse en milieu hostile et sa rareté. Elle est l’exemple typique d’endémisme en montagne. Ses caractéristiques biologiques lui permettent de fleurir et perdurer entre 2000 et 3000 m d’altitude, en pleine exposition solaire, sur un substrat rocheux et de supporter des écarts de températures de plus de 50°C. Cette fleur trop convoitée a dû être protégée. Malgré sa résistance dans son milieu naturel, l’impact anthropique a failli causer sa disparition.
Le surpâturage, une des causes de la dégradation du milieu
On s’émeut de la disparition de ces paysages ouverts qui font le charme de nos cartes postales. Le problème est qu’écologiquement parlant, là où le mouton passe, tout trépasse. C’est le chalut des montagnes, il râcle tout jusqu’à la roche. Une pelouse surpâturée par les troupeaux est un milieu appauvri qui n’abrite plus que quelques espèces de plantes seulement…
C’est malheureux à dire mais une piste de ski est beaucoup plus favorable à la biodiversité florale qu’une pâture à moutons… Les montagnes ont bien mieux à offrir que de l’herbe à moutons pour du surpâturage subventionné. Au contraire, les ongulés sauvages ouvrent le milieu avec parcimonie car ils sélectionnent beaucoup plus que les moutons et se déplacent constamment, évitant de s’attarder trop longtemps au même endroit. L’action combinée des ongulés ayant retrouvé leur densité naturelle et de la dynamique forestière de reconquête des alpages favorise le retour d’un paysage naturellement plus varié mêlant forêts, landes, zones de combat (prairies arborées) et pelouses subalpines. Ainsi, dans le parc national suisse, les secteurs les plus densément peuplés de cerfs sont les plus riches en orchidées et en papillons. Une bonne densité de chamois est favorable au développement du rare cerfeuil vulgaire.
Etude comparée de la biodiversité végétale des pelouses naturelles et des pelouses surpâturées en Haute-Savoie
- Pelouse pâturée : 5 espèces, dont le nard raide et la fétuque paniculée
- Pelouse non pâturée : 125 espèces, dont le lis martagon, le lis saint Bruno, le lis orangé, 3 espèces d’anémones, etc.
Source : D. Jordan, Flore rare ou menacée de Haute-Savoie (ASTER-CBNA, 2015).
Conserver la mosaïque d’habitats
La montagne constitue une mosaïque d’habitats : forêts, pelouses, rochers, glaciers, torrents, et lacs. Les conditions de pente, d’altitude, d’exposition et de sols expliquent la répartition des habitats et des espèces varient au sein d’une même montagne. Les montagnes ont servi également de refuge à des espèces qui furent persécutées en plaine (rapaces, carnivores).
Le milieu diversifié et préservé de la montagne permet la présence et la pérennité de différentes niches écologiques.
Le parc national suisse est l’exemple typique de la réussite d’une mosaïque d’habitats de montagne laissée à sa libre évolution depuis plus d’un siècle. Il héberge des gypaètes barbus, des marmottes, des vipères péliades, des campagnols des neiges ou encore des bouquetins. Dans ce territoire sans chasse, on peut observer très facilement la faune (chamois, cerfs et bouquetins) et voir l’évolution lente des anciens pâturages vers la forêt.
Réhabiliter des corridors géants
L’exploitation des montagnes avec notamment les carrières, le pâturage, l’exploitation forestière et les aménagements pour les sports d’hiver fractionnent le paysage et rompent les corridors écologiques. La libre évolution du milieu montagneux permet d’éviter son fractionnement, et donc la rupture des déplacements et des échanges entre espèces, à condition que les zones en libre évolution soient suffisamment grandes ou stratégiquement positionnées par rapport à d’autres aires protégées.
La libre évolution des milieux montagneux permet les déplacements de la faune par les corridors écologiques.
Les Alpes sont un archipel de sommets isolés les uns des autres par de profondes vallées glaciaires aujourd’hui très urbanisées, notamment dans les Alpes du Nord. Ce qui explique pourquoi le bouquetin et le lynx ne peuvent les recoloniser spontanément. Il faudrait faciliter la circulation des animaux en créant des corridors pour reconnecter entre elles les zones protégées et aménager des passages à faune au-dessus des autoroutes.
Les frontières administratives ne bloquent pas les loups dans leurs migrations. En effet, plusieurs meutes ont leurs territoires à la fois sur les Alpes italiennes et françaises. Mais surtout, il arrive fréquemment que des individus seuls, des éclaireurs, voire des meutes entières se dispersent en traversant les frontières de l’Italie vers la France ou la Suisse grâce aux corridors que forment les chaînes montagneuses. Certaines régions comme la Ligurie sont d’ailleurs connues comme étant des zones de passage, nous pourrions presque dire des “autoroutes à loups”.
Le cas du chamois
Malgré les idées reçues, le chamois a une capacité d’adaptation qui lui fait dépasser les falaises rocheuses. « Le cerf et le chamois montrent des comportements exploratoires qui leur permettent, si on n’élimine pas les pionniers à coup de fusil, de lancer des têtes de pont et de créer de nouvelles populations. (…) A partir du Jura, il [le chamois] a colonisé les reliefs bourguignons. » mentionnent Gilbert Cochet et Stéphane Durand dans leur livre Réensauvageons la France. La mosaïque d’habitats que forment les montagnes facilite donc leur dispersion.
Des perturbations naturelles inédites
Des montagnes en libre évolution sont soumises à de multiples perturbations naturelles : avalanche, glissement de terrain, chute de rochers, chablis, débordement des torrents. Ces dernières permettent aux nombreux habitats de se diversifier et à des espèces pionnières de subsister.
Sous l’effet du réchauffement climatique, de nombreux sols gelés au-dessus de 3 000 m d’altitude fondent et provoquent des coulées de boues entraînant des quantités de rochers qui dévalent dans les pentes (voir la photo du parc national Suisse ci-contre).
Références