Libre évolution :
Adopter une éthique du vivant
Passer de l’anthropocentrisme à l’écocentrisme
La place à accorder à la nature en libre évolution n’est pas une question mineure, elle soulève un débat fondamental sur la place de l’homme dans la nature. La part importante prise par la technoscience dans la civilisation occidentale a conduit à une domination de la nature, et ce dès le XVIIème siècle. Dès lors, accepter la nature telle qu’elle est, et non pas telle que nous voulons qu’elle soit, demande de notre part une éthique de la nature qui ne place plus l’homme au centre du monde et ne considère plus la nature comme une simple ressource répondant à ses besoins. Cette vision, qualifiée d’anthropocentrique, est largement dominante dans le monde occidental.
L’origine de la crise écologique actuelle est souvent reliée au dualisme occidental qui veut que l’homme – et la culture – se différencie nettement de la nature. Sur la rupture avec le dualisme, les philosophes qui s’intéressent à la nature sauvage peuvent avoir des visions différentes. Ainsi Virginie Maris ne le rejette pas et voit la nature comme une « extériorité » permettant de «borner notre empire», une altérité avec qui dialoguer et échanger. Alors que Baptiste Morizot, lui aussi ardent promoteur de la libre évolution, souhaite le faire en rompant avec le dualisme en remplaçant les mots « homme » et « nature » par le terme commun « vivant » car pour lui : « ce n’est pas en tant qu’humains qu’on protège une altérité qui serait la « nature », c’est en tant que vivants qu’on défend le vivant, c’est-à-dire nos milieux de vie multispécifiques ».
Accepter la libre évolution est une preuve d’humilité selon Aldo Leopold, célèbre forestier et pionnier de l’écologie nord-américaine et de l’éthique de la terre (incluant les vivants humains et non humains et le monde abiotique). Cette attitude d’humilité nécessite une éthique de la nature écocentrée, qui conçoit l’homme relié à la nature. Cette connexion entre l’homme et la nature, entre les vivants humains et non humains, rend illusoire la croyance selon laquelle l’existence des hommes est possible indépendamment de la nature.
La libre évolution permet à la nature sauvage de s’exprimer sans entrave. Les arguments philosophiques des défenseurs de la libre évolution et du monde sauvage sont nombreux.
Paul Shepard
Depuis 300 000 ans Homo sapiens a plus longtemps vécu dans une nature sauvage que dans celle qu’il a aujourd’hui entièrement transformée, sans oublier que le genre Homo a été chasseur-cueilleur près de deux millions d’années. Cela a conduit le philosophe Paul Shepard à considérer que le sauvage fait partie de notre héritage génétique.
Wallace Stegner
Wallace Stegner, écrivain majeur qui a grandi dans les Etats de l’Ouest et a enseigné à Stanford et Harvard, considère qu’en perdant le contact avec le sauvage nous risquons de perdre notre humanité.
Henry David Thoreau
Le penseur libertaire Henry David Thoreau qui fit des conférences sur le sauvage dans l’Amérique du XIXème siècle, répétait que c’est dans le sauvage que réside la sauvegarde du monde.
Edward Abbey
Edward Abbey, écrivain et contestataire des ravages du développement dans l’ouest américain, disait de la nature sauvage : « l’amour de la nature sauvage est plus qu’une soif de ce qui est toujours hors d’atteinte ; c’est aussi une affirmation de loyauté à l’égard de la terre, cette terre qui nous fit naître, cette terre qui nous soutient, unique foyer que nous connaîtrons jamais, seul paradis dont nous ayons besoin-si seulement nous avions les yeux pour le voir». Il estimait que le monde sauvage est une part de rêve et de liberté sans lequel l’homme ne peut pas vivre.
Aldo Léopold
L’écologiste Aldo Leopold qui proposa la première aire de wilderness aux Etats-Unis en 1924 soulignait que la wilderness était la seule chose que l’homme ne pouvait pas créer.
*L’éthique relève de la philosophie et l’éthique de la nature porte sur les comportements humains à l’égard de la nature.
Bibliographie
- Gérald Hess. Ethiques de la nature. 2013. Presses Universitaires de France. 422 p.
- Virginie Maris. La part du monde sauvage. 2018. Seuil. 259 p.
- Baptiste Morizot. Raviver les braises du vivant. Un front commun. 2020. Actes Sud/ Wildproject. 199 p.
- Jean-Claude Génot. Aldo Leopold. Un pionnier de l’écologie. 2019. Editons Hesse. 120 p.
- Edward Abbey. Désert solitaire. Gallmeister. 2010. 338 p.
- Robert Richardson. Henry David Thoreau. Biographie intérieure. 2015. Wildproject. 461 p.
- Paul Shepard. Retour aux sources du Pléistocène. 2013. Editions Dehors. 261 p.
- Wallace Stegner. Lettres pour le monde sauvage. 2015. Gallmeister. 188 p.